Poème – Il est des mots

Il est des mots qui blessent et creusent leur galerie à vif
Il est des mots dont le foret entame la dure-mère
Il est des mots assénés
Orphelins de sagacité

Temps suspendu
Les phrases tournent sur elles-mêmes
Derviches empoisonnés
Chaque lettre au fer rouge
Imprime sa brûlure

Touchée en pleine tendresse
Traversée par l’estoc
Poinçon de déception
Qui cloue le cœur
A vif

Il est des mots
femme-songe-triste


Poème – Corps mort

Un corps mort flotte dans la houle
Sur un grand océan de larmes désarmées
Un corps mort submergé des brûlures
De sensualité cautérisée

Un corps inerte vulnérable au tangage
Âme noyée chavirée par les bribes
Celles d’avant celui
Du temps où
La vie claquait au vent
Les chairs jouissaient
Des mains le parcouraient
Ivre
Charnelle perception d’exister

Un corps aux yeux blessés crevassés par le sel
Que les regards n’ont plus sondé
Pour dévoiler sans impudeur
Tu existes
Je te vois
Je te veux

Un corps englouti par les algues
Carnassières
Qui lacèrent
Macèrent dans l’acide
Dissolvent ses entrailles
Recrachent avec dégoût

Un corps délaissé au fond d’un flacon froid
Largué si près si loin
À mer prisonnier
Étreint le vide
Dénué de caresses
Mutilé par l’indifférence

Un corps bafoué
Échoué sur la grève
Abandonné fossile de ces années stériles

Un corps destitué
Écartelé de l’inutile
Pauvre étoile de mer
Morte
De son soleil éteint
Un jour il renaîtra
Alors
Le corps mort rompra son amarre

©Ghislaine Rouxel


Tranche de vie – 12

Un doigt sur le pore noir en haut de sa pommette
Cliquetant en hochant sa ligne d’amulettes
Les pilosités fines en accent circonflexe
Songeuse, elle perfore son cortex


Collage – Une seule jubilation

Collage – ©Ghislaine Rouxel – 2014 – 50×60

GR_Une seule jubilation_2013_50X60


Texte – Torpeur

Parcourir tous les points de contacts du corps et sentir le sable doux-dur à travers l’éponge à rayures.
Bouger lascivement les hanches, le bas du dos, les épaules et les coudes, terminer par les pieds pour creuser son empreinte et faire la coquille sienne.
Savourer cette première immobilité.
Clore très délicatement les cils, iris éblouis. Un ultime rayon transperce de lumière rouge l’intérieur des paupières. Des brillances qui dansent, microbes incandescents, marquent puis superposent les contours des dernières formes entrevues ; festons des vagues, fils des nuages, blancs, bleus.

A fleur de peau, entrer au cœur des sensations.
Doucement la chaleur prend possession des lieux, fait exsuder des pores les gouttes minuscules et capture un souffle léger hérissant les petits duvets. La laisser s’immiscer, pénétrer jusqu’au fond les cellules, ne faire qu’un avec elle.
Volupté.
Peu à peu se dissoudre, se sentir transmutée en pure incandescence.
Et là, pendant que l’enveloppe tout lentement mijote, sinuer paresseusement jusqu’au cortex.
Faire naître les images en sphères éthérées, s’envoler, redescendre, voguer, se jouer d’elles. Les étranges et les drôles, les douces et les coquines, les cocasses, les lumineuses.
Y fusionner le corps, le reperdre, n’exister que dans son intérieur mais être partout à la fois, espace-temps hors limites.
Somnolence en petits pointillés d’oubli.
Reprendre une semi-conscience, fabriquer des chimères, inventer des décors, choisir ses héros, s’immerger dans l’histoire, caracoler, jouir, s’abandonner.

Juste avant la brûlure, mouvoir les muscles alanguis, activer les batteries au niveau minimum, tendre le bras pour lamper quelques gorgées, puis accomplir une demie rotation.

Alors offrir à l’air libre le coté macéré, ressentir de ce fait un soupçon de fraîcheur. Jeter aux alentours un coup d’œil distrait, les lumières, le blanc, le bleu limpide, l’océan, ses rouleaux, des taches de couleurs éparpillées au loin, et se caler sur la bonne joue.

Ainsi déposée sur l’autre face, parcourir tous les points de contact du corps…

Juste avant la brûlure, s’assoir toute en langueur, secouer le sable doré, reprendre vie dans l’ombre du parasol rayé, boire encore et encore l’eau tiédie. Faire redescendre la température pour aller se plonger dans l’écume qui fouette.


Poème – Tendre n’est pas la nuit

Spectre nocturne
Ses phalanges mortifères griffent
Mon cœur décomposé
Elles arrachent les boyaux vitaux
Faisant gicler
Les larmes de sang
Et hurler le cri silencieux
Déchirant
De l’injustice

Fantôme poudré
Le vent de sable
Ravage tout sur son passage
Comme une toile émeri
Il fouette, lacère
Ecorche, aveugle
Rend l’air obscur
Emplit les narines
La trachée artère
Les alvéoles pulmonaires

Tendre n’est pas la nuit

nuit-manoir-des-frayeurs-trois-rivieres-mauricie


Collage – Je te vois

Collage – ©Ghislaine Rouxel  – 2014 – 46×38
GR_Je te vois_2011_38X46


Histoire – L’œuf

Sur la route de Châteauneuf
Hier, j’ai rencontré un œuf

Hésitant égaré dans le foin séché
Il tanguait
Petit poussin en devenir
Dont l’errance n’en finissait pas de finir
Bien qu’il tentât de faire visage lisse
Je le sentis très proche des abysses

Proposition
Arrêtons-nous là et causons
De ma main en écrin je lui fis un coussin
Pour qu’il puisse se reposer un brin

Quel est donc ce tourment
Qui te rend si errant ?
Ah ! Me dit-il
Je suis sur le grill

Tout a commencé dans le poulailler
Sous le cul altier de ma mère
Nous étions moi et mes frères
Dans un tiède duvet lovés
C’est alors que j’eus la belle idée
D’aller à la ronde regarder
Mais qu’avais-je donc découvert
Tout un monde qui s’agitait

Et que je te caquette en picorant des vers
Et que je te froufroute pour me pavaner
Que je cocoricotte la crête en bandoulière
Et que je te pioupioute en rang vers la rivière
Et des bruits des d’odeurs
Du remue-ménage des couleurs

Ni une ni deux
Bringuebalant je me laisse rouler
Et vite dans ces jeux
Je cherche à me glisser

Bien mal m’en prit
Malgré mes petits cris
Me voici bousculé piétiné ignoré
Dans un magma verdâtre embourbé

Alors à pleins poumons
J’ai hurlé
Coqs et coquelets
Poulettes et poulets
Poussins et poussinettes
Paons et pintades
Vous tous poulaille de la basse-cour
Venez près de moi tout autour

Un cercle de curieux s’est alors formé
Qui es-tu moins que rien, pour nous apostropher ?
Interroge un gros coq mordoré
Tais-toi futur chapon
Dit la poule au large giron
Et laisse le petit parler
Heu … est-ce qu’avec vous je peux jouer ?

Qu’avais-je dit
Les voilà tous à s’esclaffer

Mais tu t’es regardé
Espèce d’avorton sans queue ni tête
Qui t’a donné l’idée
De vouloir parader parmi les bêtes ?
Sans nous tu n’es rien sifflait une cocotte
Réceptacle rigide me criaient les poussins
Etat de transition sans âme
Hurlaient les poulettes du drame

Percé de quolibets
Humilié
Je n’eus plus qu’à m’enfuir
Je pensais en finir
Quand je t’ai rencontré

Mais tout en te contant il me vient une idée
Peut-être sont-ils trop sots
Pour ne pas discerner
Que je suis le chaînon les reliant entre eux

En fait, sans moi ils ne sont rien !
Comme cela me fait du bien

C’est à ce moment-là qu’un frisson
Agita mon éphémère compagnon
Et je vis se former une infime fissure
Qui s’agrandit dans un murmure
Bon sang !
Ça bougeait là-dedans

Et tout en cheminant
Pour ramener à sa maman
Ce machin tout chaud et gluant
Mes pensées s’agitaient maintenant

Oui mais alors qui donc fut le premier
Des volailles plumeuses
Ou du calcaire oblong …


Tranche de vie – 11

Un paltoquet passant par-là lui murmura tout bas :
« Fientes de tagada, j’ai le guéridon flagada »
Le gardon bascula dans ses bras et lui flanqua une volée de mangas
Se présenta alors une bourrique anémique
Qui, au matin lui fit la nique
Bernicles et crottes de bique, c’était pas prévu par l’étique


Poème – Tempête

Vienne l’hiver de mes tourments
L’aube grise sans fin
Déverse
Ses bourrasques polaires
Et fige la destinée

Arbres effeuillés en deuil
Doigts tendus vers le rien
Tordus
Perclus
D’une opaque noirceur

Sur la lande durcie
Les loups
Hurlent à mon désespoir
Le voyageur détourne son chemin
Nul
Ne pénètre en ces parages
Seuls les vents tempétueux
Sifflent leur langue de vipère

Horizon obturé
Cadenassé
Contrée prison
Geôle d’Eole

Mon soleil s’éteint
Sous les assauts usants
Vidé de sa substance
Il gît
Magma cloqué
En vagues glauques

Âme bouleversée par la tempête
Rudoyée
Souffletée
Tel un pantin poignant
Au rictus en blessure
Condamné à l’errance
Dans ce désert glacé